Категории
Самые читаемые

Lécluse n°1 - Simenon

Читать онлайн Lécluse n°1 - Simenon
1 ... 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15
Перейти на страницу:

Шрифт:

-
+

Интервал:

-
+

Закладка:

Сделать

— Vous permettez que j’use de votre domestique ? Merci. Mélie, je voudrais que vous traversiez la cour. Passé la grille, vous verrez d’abord un vieux bonhomme et vous ne vous en occuperez pas. À quelques mètres de lui, vous apercevrez une autre personne, un autre homme d’une trentaine d’années. Vous lui remettrez ce billet et vous attendrez la réponse.

La fille osait à peine bouger. Ducrau découpait le gigot. Mme Ducrau, qui était mal placée, faisait des efforts pour voir au-dehors.

— Saignant, commissaire ?

Sa main était sûre, son regard sans inquiétude, et pourtant, de son attitude, se dégageait quelque chose de pathétique qui dépassait le cadre de ce dîner et les personnages attablés.

— Tu as de l’argent de côté ? demanda-t-il soudain à Decharme.

— Moi ?… ne put que répondre celui-ci, abasourdi.

— Écoute… commença sa fille, qui tremblait d’impatience ou de colère.

— Toi, je te conseille de te taire. Et, surtout, reste assise, je t’en prie. Si je demande à ton mari s’il a des économies, c’est que j’ai mes raisons. Réponds !

— Bien entendu, je n’en ai pas.

— Tant pis ! Le gigot est ignoble. C’est toi qui l’as cuit, Jeanne ?

— C’est Mélie.

Son regard regagna la fenêtre, mais il ne pouvait pas voir grand-chose dans l’ombre, à peine la tache blanche du tablier de la servante qui revenait et qui, bientôt, remit un papier à Maigret. Il y avait des gouttelettes sur ses cheveux.

— Il pleut ?

— Tout fin, oui. Cela commence.

Lucas avait répondu sur le papier même du commissaire, si bien qu’on lisait de l’écriture de ce dernier :Est-il armé ? Et, en travers, un seul mot : Non.

On eût dit que Ducrau lisait à travers la feuille, car il demanda :

— Armé ?

Maigret hésita, hocha affirmativement la tête. Tout le monde avait entendu. Tout le monde avait vu. Mme Ducrau avalait sans la mâcher une bouchée de viande. Ducrau lui-même, qui crânait, épanouissait sa poitrine, mastiquait avec un faux appétit, avait eu un bref tressaillement.

— Nous parlions de tes économies…

Maigret comprit qu’il était lancé. Il avait trouvé son atmosphère. Désormais rien ne l’arrêterait, et il commença par repousser son assiette pour s’accouder plus solidement.

— Tant pis pour toi ! Suppose que tout à l’heure, ou demain, ou n’importe quand, je vienne à crever. Tu te dis que tu es riche, que je n’ai pas le droit, même si je le voulais, de déshériter ma femme et ma fille…

Sa chaise était renversée en arrière comme celle d’un convive qui, à la fin du dîner, raconte des histoires.

— Or, je vous affirme, moi, que vous n’aurez pas un sou !

Sa fille l’observait froidement, avec la volonté de comprendre, tandis que son mari mangeait d’un air appliqué.

Maigret, qui tournait le dos à la fenêtre, pensait que, de la place de Gassin, sous la pluie fine, la salle à manger claire devait apparaître comme un havre de quiétude familiale.

Ducrau, cependant, poursuivait, tandis que son regard sautillait d’un visage à l’autre :

— Vous n’aurez pas un sou parce que dans ce but j’ai signé un contrat qui ne sera valable qu’à ma mort par lequel je cède toutes mes affaires à la Générale. Quarante millions tout rond ! Seulement, ces quarante millions ne sont payables que dans vingt ans.

Il rit, mais il n’avait pas la moindre envie de rire, puis il se tourna vers sa femme.

— Tu seras morte, toi, ma vieille !

— Je t’en supplie, Émile.

Bien qu’elle se tînt droite et digne, on sentait qu’elle était à bout de forces, que d’un moment à l’autre elle pouvait osciller et tomber de sa chaise.

Maigret guetta, à cet instant, une trace d’émotion, d’hésitation chez Ducrau, mais celui-ci, au contraire, se durcit encore, peut-être parce qu’il était bien décidé à ne pas s’attendrir.

— Tu me conseilles encore de disparaître discrètement ? demanda-t-il à son gendre, dont la mâchoire tremblait.

— Je vous jure…

— Ne jure rien, va ! Tu sais bien que tu es une canaille, une vilaine petite canaille honnête, ce qui est le pire de tout. Ce que je me demande, c’est qui est le plus canaille, de ma fille ou de toi. Veux-tu que nous fassions un pari ? Voilà des semaines que vous nous jouez la comédie avec le gosse à naître. Eh bien ! si cela vous amuse, je vais appeler un médecin et je vous donne cent mille francs si Berthe est vraiment enceinte !

Mme Ducrau ouvrit de grands yeux qui entrevoyaient soudain la vérité, mais sa fille continua à fixer Ducrau avec un calme haineux.

— Voilà ! conclut celui-ci en se levant, la pipe aux dents. Une, deux, trois ! Une vieille bonne femme, une fille et un gendre ! À peine une toute petite tablée. Et c’est tout ce que j’ai, ou du moins ce que je devrais avoir à moi, avec moi…

Maigret, indifférent, reculait un peu sa chaise et bourrait sa pipe.

— Maintenant, je vais vous dire quelque chose, devant le commissaire, car peu importe. Il est tout seul, puisque des parents ne peuvent pas servir de témoins : c’est toujours ça !… Je suis un assassin ! J’ai tué, avec ces deux mains-là…

Sa fille sursauta. Son gendre se leva en balbutiant :

— Je vous en prie…

Sa femme, elle, ne bougea pas. Peut-être n’entendait-elle plus ? Elle ne pleurait pas. Elle avait le front posé sur ses mains jointes.

Ducrau marchait à pas lourds. Il allait d’un mur à l’autre en fumant sa grosse pipe.

— Vous voulez savoir pourquoi et comment j’ai zigouillé le type ?

Personne ne le lui demandait. C’était lui qui avait besoin de parler sans abandonner son attitude menaçante. Et brusquement, il se rassit juste en face de Maigret, lui tendit une main par-dessus la table.

— Je suis plus costaud que vous, n’est-ce pas ? N’importe qui l’affirmerait en nous voyant tous les deux. Pendant vingt ans, je n’ai rencontré personne pour me retourner le poignet. Tendez votre main !

Il la serra avec une telle frénésie que Maigret sentit l’envahir toute la fièvre poignante de son compagnon. Ce contact ne déchaînait-il pas en retour l’émotion de Ducrau, et la voix de celui-ci ne devenait-elle pas plus chaude ?

— Vous connaissez le truc ? C’est à qui rabattra le poing de l’autre sur la table. Défense de bouger le coude.

Les veines de son front saillaient, ses joues se violaçaient, et Mme Ducrau le regardait comme si elle n’eût pensé qu’à la congestion possible.

— Vous ne donnez pas toute votre force !

C’était vrai. Quand Maigret la donna, il fut étonné de sentir fondre la résistance de l’adversaire dont les muscles, à la moindre poussée, s’étaient relâchés. La main toucha la table et Ducrau resta un moment ainsi, le bras mou.

— C’est à cause de cela que tout est arrivé…

Il marcha vers la fenêtre, qu’il ouvrit, et l’haleine humide du fleuve pénétra dans la pièce.

— Gassin ! Hé ! Gassin !…

Quelque chose bougea, près du bec de gaz, mais on n’entendit aucun pas sur le gravier de la cour.

— Je me demande ce qu’il attend. Au fond, il est le seul à m’avoir aimé !

En disant cela, il fixait Maigret comme pour lui dire : « Car vous, vous n’avez pas voulu ! »

Il n’y avait que du vin rouge sur la table, et il s’en versa deux pleins verres coup sur coup.

— Écoutez bien ceci : peu importe que je donne des détails, car demain, si je veux, je nierai tout. Un soir, je suis arrivé sur la péniche de Gassin…

— Pour rejoindre ta maîtresse, intervint sa fille.

Et lui, en haussant les épaules, de laisser tomber, avec un accent indéfinissable :

— Pauvre imbécile !… Je disais, Maigret, qu’un soir, j’arrive, écœuré, parce que ces deux crapules que vous voyez ici avaient essayé une fois de plus de m’entôler. Je m’étonnais un peu de ne pas voir en entier la lumière du hublot. Je m’approche, et qu’est-ce que je trouve : un saligaud quelconque qui, à plat ventre sur le pont, regardait ma fille se déshabiller…

En disant ma fille, il les défiait tous du regard, mais ils étaient l’un et l’autre sans résonance.

— Je me suis baissé, tranquillement. Je l’ai saisi par un poignet et j’ai serré, j’ai tourné, je l’ai forcé à se tordre comme une anguille au point que son corps était déjà à moitié de l’autre côté du bord…

Il s’était campé une fois encore devant la fenêtre et il parlait à la nuit humide, si bien qu’il fallait faire un effort pour l’entendre.

— Jusqu’alors, j’avais toujours eu les plus costauds. Eh bien ! ça a raté ! J’ai molli ! L’animal a cessé de se tortiller ! Il a pris quelque chose dans sa poche et soudain j’ai senti un choc dans le dos. Le temps de reprendre son équilibre et, d’un coup d’épaule, il me faisait basculer dans l’eau…

Le plus impressionnant, c’était peut-être l’immobilité de sa femme. Il faisait froid. Par la fenêtre ouverte, ce n’était pas seulement de la fraîcheur qui pénétrait mais des ombres, des frissons, de la fièvre, des menaces.

— Gassin ! Hé ! vieux !

Maigret se retourna et vit Gassin appuyé à la grille, qui n’était pas fermée à clé.

— Quel type ! grommela Ducrau en revenant vers la table et en se versant du vin. Il a eu cent fois le temps de tirer. Il peut même s’approcher autant qu’il veut…

Des gouttes de sueur révélaient que, pendant les minutes précédentes, il n’avait pas cessé d’avoir peur ! Peut-être même n’était-ce que par peur qu’il avait ouvert la fenêtre et qu’il s’était tenu devant ?

— Mélie !… Mélie ! nom de Dieu !…

Elle se montra enfin. Elle avait retiré son tablier et elle avait un chapeau sur la tête.

— Que te prend-il ?

— Je m’en vais.

— Avant de t’en aller, va me chercher le vieux qui est à la grille. Compris ? Dis-lui que je veux absolument lui parler.

La servante ne bougea pas.

— File !

— Non, monsieur.

— Tu refuses de faire ce que je te dis ?

— Je n’irai pas, monsieur.

Elle en était livide, cette fille maigre, sans poitrine, sans féminité, sans charme, qui affrontait enfin Ducrau.

— Tu refuses ?

Il marchait sur elle la main levée.

— Tu refuses ?

— Oui !… oui !… oui !…

Il ne frappa pas. Dégonflé, il passa devant elle comme sans la voir, ouvrit la porte, et on l’entendit qui traversait la cour. Sa fille n’avait pas bougé. Son gendre se penchait pour voir. Mais sa femme s’était levée, lentement, et elle s’avançait sans bruit vers la fenêtre. Quant à Maigret, il eut l’air de profiter de l’inattention pour se verser à boire, et il n’alla à la fenêtre que quand la grille grinça.

Les deux hommes s’étaient rejoints. On les voyait, si disproportionnés de corpulence, à un mètre l’un de l’autre. On n’entendait pas ce qu’ils disaient. Une voix plaintive, fluette comme une voix d’enfant, fit tout près de Maigret :

— Je vous en supplie !

C’était Mme Ducrau qui regardait la grille et qui adressait à Maigret cette prière vague et haletante. Ils ne se battaient pas. Ils parlaient. Ils entraient dans la cour. Ducrau avait la main sur l’épaule de son compagnon et semblait le pousser en avant. Avant qu’ils eussent atteint la maison, Decharme eut le temps de demander à Maigret :

— Qu’avez-vous décidé ?

Et le commissaire faillit bien lui répondre comme un Ducrau : « Merde ! »

Le vieux faisait de petits yeux, à cause de la lumière. Ses épaules mouillées luisaient, et il tenait sa casquette à la main, peut-être à son insu, parce qu’il entrait dans une salle à manger.

— Assieds-toi !

Il s’assit sur le bord d’une chaise et garda sa casquette sur ses genoux, évita de regarder autour de lui.

— Un coup de rouge avec moi ? Tais-toi ! Tu sais bien ce que je t’ai dit : on te laissera faire ensuite tout ce que tu voudras. Pas vrai, commissaire ? Car je tiens toujours parole, moi !

Il toucha de son verre le verre de Gassin et but le vin d’un trait, avec une grimace.

— C’est dommage que tu aies manqué le début.

Il ne parlait plus qu’au marinier, avec même des regards en coin à Maigret.

— Est-ce vrai qu’auparavant je mettais n’importe qui par terre avec un seul poing ? Dis-le, toi !

— C’est vrai.

Et c’était hallucinant d’entendre ainsi la voix du vieux, d’une douceur, d’une docilité surprenantes.

— Tu te souviens, quand, à Châlons, on s’est battus avec les Belges ? L’autre jour, c’est le type qui m’a eu, en traître, il est vrai, grâce à son couteau. Tu n’es pas au courant, mais ça ne fait rien. J’étais venu comme ça, sur ton bateau, et je l’ai trouvé à plat ventre, qui regardait par le hublot la môme se déshabiller…

Il aimait le répéter car cela ranimait sa rage.

— Tu as compris, maintenant ?

Et Gassin haussa les épaules pour dire qu’il avait compris depuis longtemps.

— Écoute-moi, vieux. Non, bois d’abord un coup. Vous aussi, commissaire. Quant aux autres, ça n’a pas d’importance, du moment qu’ils sont là…

Mme Ducrau, qui ne s’était pas rassise, restait collée au mur, à demi cachée par le rideau. Decharme, lui, se tenait accoudé à la cheminée tandis que sa femme, seule, demeurait à table. On entendait quelqu’un aller et venir dans la maison. Cela impatienta Ducrau, qui ouvrit la porte, et on aperçut la servante qui faisait sa valise dans le corridor.

— Non, ma vieille ! Filez si cela vous plaît ! Filez ou crevez, faites n’importe quoi, mais, de grâce, foutez-nous la paix !

— Je voulais dire à Monsieur…

— Il n’y a pas de Monsieur. Tu veux du fric ? En voilà, je ne sais pas combien. Au revoir ! Et qu’un tramway t’écrabouille…

Il en souriait lui-même. Cela lui faisait du bien. Il attendit que la fille eût disparu en cognant sa valise à la porte pour refermer celle-ci lui-même, mettre le verrou et rejoindre ses compagnons. Entre-temps, Gassin n’avait pas bougé.

— En voilà toujours une de partie ! Qu’est-ce que nous disions ? Ah ! on parlait de la petite. Si tu avais été là, est-ce que tu n’aurais pas fait comme moi ?

Il y avait de l’eau dans les yeux du vieux, et sa pipe était éteinte. Maigret le regardait intensément, et à cet instant même il pensait : « Si, dans une ou deux minutes, je n’ai pas trouvé, il arrivera des choses épouvantables dont je serai responsable ! »

Car tout ce qui se passait en apparence n’existait pas. Il y avait autre chose, un autre drame en dessous. L’un parlait pour parler et l’autre n’écoutait pas. C’était celui-ci que Maigret observait, et il n’y avait même pas de regard à surprendre.

Était-il possible que Gassin fût inerte à un pareil moment ? Il n’était même pas ivre ! Ducrau le savait si bien qu’il suait d’abondance.

1 ... 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15
Перейти на страницу:
Открыть боковую панель
Комментарии
Настя
Настя 08.12.2024 - 03:18
Прочла с удовольствием. Необычный сюжет с замечательной концовкой
Марина
Марина 08.12.2024 - 02:13
Не могу понять, где продолжение... Очень интересная история, хочется прочесть далее
Мприна
Мприна 08.12.2024 - 01:05
Эх, а где же продолжение?
Анна
Анна 07.12.2024 - 00:27
Какая прелестная история! Кратко, ярко, захватывающе.
Любава
Любава 25.11.2024 - 01:44
Редко встретишь большое количество эротических сцен в одной истории. Здесь достаточно 🔥 Прочла с огромным удовольствием 😈